Synthèse du colloque de Châteaugiron 2/2

Table ronde  « Apprendre », présidée par Mme Marie-Christine Renard, directrice, ENSA Bretagne. Avec Mme Françoise Ged, chercheur associée au CECMC, Observatoire de la Chine, Cité de l'architecture et du patrimoine ;  M. Benoît Melon, Directeur, École de Chaillot ;  M. Luc Bousquet, Directeur de la recherche et des partenariats, ENSA Lyon ;  Mme Céline Guichard, chargée de mission Urbanisme et développement durable, ministère de la Culture ;  M. Vincent Jouve, architecte et enseignant, ENSA Bretagne.
Table ronde « Apprendre », présidée par Mme Marie-Christine Renard, directrice, ENSA Bretagne. Avec Mme Françoise Ged, chercheur associée au CECMC, Observatoire de la Chine, Cité de l’architecture et du patrimoine ; M. Benoît Melon, Directeur, École de Chaillot ; M. Luc Bousquet, Directeur de la recherche et des partenariats, ENSA Lyon ; Mme Céline Guichard, chargée de mission Urbanisme et développement durable, ministère de la Culture ; M. Vincent Jouve, architecte et enseignant, ENSA Bretagne.

Spécialistes de la ville, universitaires, urbanistes et architectes alertent depuis plusieurs décennies sur nos modes d’urbanisation. Aujourd’hui des élus aux citoyens, nous en subissons les premières conséquences. En organisant le colloque Alliances, qui s’est tenu du 6 au 8 décembre 2018 à Châteaugiron, l’Association nationale des architectes des bâtiments de France1 a souhaité réunir professionnels, universitaires, élus et associations, pour partager et explorer ensemble les conditions de l’action et de l’intervention sur ces écosystèmes si complexes et si fragiles que sont les petites villes.

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Alliances des territoires

Les politiques nationales en faveur des centralités

Les politiques interministérielles, portées conjointement par le Commissariat général à l’égalité des territoires2 et le ministère de la Culture en faveur des centralités, fédèrent un réseau d’acteurs thématiques et transversaux. Elles ont pour objectif de conforter un maillage équilibré du territoire en favorisant la présence de centres-bourgs vivants et animés, en concourant à l’amélioration du cadre de vie des habitants et en offrant des logements rénovés. Elles présentent donc un enjeu de requalification de l’habitat, qui participe à l’accompagnement vers la transition écologique des territoires, en limitant l’artificialisation des sols et consolidant l’approche territoriale globale. Depuis 2015, le comité interministériel aux ruralités apporte un soutien aux collectivités territoriales via des appels à projets nationaux, afin de leur donner des outils pour agir sur la revitalisation des centres-bourgs. Dans le cadre de la préfiguration de la future agence nationale de cohésion des territoires, le CGET mène une expérimentation nationale interministérielle sur dix-sept villes patrimoniales réparties dans trois régions. Depuis fin 2017, la Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages, apporte un accompagnement en ingénierie supplémentaire par la mise en place d’ateliers de territoire sur sept de ces villes. Cette réflexion à grande échelle et à long terme place l’État en posture d’accompagnement des élus locaux, pour le recrutement d’une équipe de projet extérieure au lieu et pluridisciplinaire pilotée localement par les Directions départementales des territoires. Le regard extérieur et neutre de l’équipe pluridisciplinaire révèle les atouts et les faiblesses du territoire. La signature de conventions entre l’État et les collectivités engage les acteurs locaux dans un processus de projet et la co-construction d’une stratégie de territoire dans une approche sensible, complétée par le déploiement d’un plan d’actions priorisées. Dans cette stratégie, le patrimoine est un élément de liaison entre plusieurs politiques publiques (logements, commerce, espaces publics, mobilité et accessibilité, mixité social et échanges intergénérationnels). Le programme national « Action cœur de ville », d’un budget de cinq milliards d’euros, permet d’assister chacune des deux cent vingt-deux villes lauréates dans l’élaboration d’une stratégie conventionnée sur cinq ans, dans lequel le patrimoine est l’un des cinq axes. Chaque ville lauréate reçoit une subvention pour le recrutement d’un coordonnateur de projet, piloté par un comité pluridisciplinaire, où siègent des institutions aux côtés de la collectivité. Ce comité est garant de la prise de décision partagée et de l’engagement de la dynamique partenariale. L’installation d’une ingénierie de projet pérenne au sein des collectivités, comme un interlocuteur privilégié des partenaires est une des clés de réussite du projet. Pour faire de ces cœurs de ville des instruments de réutilisation des territoires et de lutte contre l’étalement urbain, la combinaison des outils du ministère de la Culture (sites patrimoniaux remarquables) en articulation avec les documents de planification (plans locaux d’urbanisme) présente une approche complémentaire. La création de « site patrimoniaux remarquables » ou d’autres outils de gestion du patrimoine, visant à définir les conditions de la mutation du patrimoine bâti, urbain et paysagé, tout en préservant ses qualités, est l’une des composantes du projet de revitalisation. Leur élaboration permet de placer le patrimoine au cœur du débat public et d’impliquer les habitants dans la gestion de leur ville via des réunions et enquêtes publiques. La sensibilisation et la participation des habitants en amont garantit la réussite et l’acceptation du projet final.

La création d’une dynamique vertueuse

Dans son plan national en faveur des nouveaux espaces protégés, Yves Dauge, sénateur honoraire, présente un plan d’action d’urgence. Sur la base d’un nombre restreint de villes au départ, à augmenter au fil du temps, celui-ci propose une approche à partir du terrain en tenant compte de la diversité des situations. Cette mise en réseau se structure à partir de villes d’appui exemplaires, en capacité d’inspirer les autres territoires pour générer une dynamique positive. Yves Dauge insiste sur la nécessité pour les territoires ruraux de traiter les fonctions urbaines essentielles par des alliances. Pour la mobilité, créer des alliances avec les régions et les métropoles, pour la santé, penser les hôpitaux comme un réseau et non une centralité pour trouver des complémentarités, pour l’éducation, inventer des partenariats avec les universités pour partager l’intelligence dans le montage de programmes de recherches expérimentaux, pour la culture rédiger des accords avec les grands équipements culturels. Pour Yves Dauge, ces déclinaisons font appel à de l’intelligence collective plus qu’à de l’argent, associées à un portage politique qui s’élargit au fil de la démarche fédérée par une vision commune. Vincent Humbert, maire d’Andilly-en-Genevois, village à la frontière Suisse, va même plus loin dans son intervention en esquissant une possible solidarité inter-villageoise et propose de racheter des maisons en Auvergne pour les vacances des habitants de sa commune.
L’accompagnement des territoires dans leurs transitions et transformations (énergétique, écologique, numérique, des mobilités et des usages) répond à des enjeux planétaires. La reconquête de certaines zones en perte d’attractivité comme les bourgs ruraux, offre la possibilité pour Loïc Guilbot de répondre aux enjeux environnementaux et patrimoniaux simultanément, car ils peuvent être travaillés en synergie. Il donne ainsi l’exemple de l’expérimentation Enerterre menée dans le Parc naturel régional des marais du Cotentin et du Bessin en faveur de la rénovation de petites maisons en terre, présentant un intérêt patrimonial, pour lutter contre la précarité énergétique. Ce dispositif de rénovation solidaire s’articule autour de chantiers participatifs, qui développent la confiance des habitants à travers les ateliers de formation assurés par des professionnels. Cette démarche innovante a permis de récréer des filières locales pour la mise en œuvre de techniques traditionnelles de construction. Ainsi la mobilisation de financements en faveur du développement durable a rendu possible la préservation et la rénovation de ce patrimoine.

Chantiers participatifs de rénovation de maisons individuelles en terre. ©Parc naturel régional des marais du Bessin et du Cotentin.

Se mettre d’accord sur le processus de projet à établir en mobilisant plus de matière grise pour utiliser moins de matière première, c’est ce qui importe pour Christine Leconte, présidente de l’Ordre régional des architectes d’Île-de-France. Afin de s’attacher à rester dans l’enveloppe urbaine existante, il est nécessaire de passer d’une valeur économique du territoire à une valeur culturelle et sociale. Elle rappelle les principes de la frugalité heureuse introduits par Philippe Madec3 , que la puissance publique devrait porter pour mobiliser les énergies collectives : frugalité de ressources dans l’équilibre des matériaux, frugalité de l’énergie, en consommant moins mais aussi de manière renouvelable, dans la technicité, en plaçant l’habitant au cœur du projet architectural et non plus la technologie, et enfin la frugalité du territoire, en favorisant les ressources locales et en privilégiant la rénovation du bâti existant.

Le développement d’un écosystème territorial

Jean-Louis Coutarel, chargé de mission au CGET, rappelle que les politiques publiques partagées produisent une équité territoriale croisée et transversale. À différentes échelles, la contractualisation inter-collectivités pour l’embellissement des communes, le développement économique ou encore l’action culturelle est un outil de coordination des politiques publiques mais aussi, pour la mise en cohérence des investissements publiques et la généralisation du soutien de l’État dans une politique nationale de revitalisation. Les contrats de ruralité représentent une enveloppe nationale de quatre cent dix-sept millions d’euros pour financer les projets structurants dans les territoires et générer un modèle économique où les sites les plus prestigieux rejaillissent sur les sites moins connus.
L’articulation des différentes échelles territoriales est essentielle pour assurer la cohérence et le développement d’un écosystème qui dépasse les concurrences territoriales afin de créer des complémentarités. Cette vision nécessite un changement de référentiel, où le projet est culturel et humain, avant d’être un projet d’urbanisme ou de patrimoine. Élisabeth Taudière rappelle que seul l’architecte est en capacité de faire des projets sur mesure pour les territoires, en s’appuyant sur les points forts, les singularités, mais aussi les contraintes. L’élaboration de ces projets nécessite de prendre le temps de travailler ensemble sur ce qui rassemble, sur la base d’un diagnostic à l’échelle du bassin de vie. Le périmètre d’étude dépasse le périmètre d’intervention, pour élaborer une stratégie globale et prospective, qui cherche une somme de solutions spécifiques qui concourent ensemble à la revitalisation d’une centralité.

Ervy-le-Châtel, maison du vitrail. © ville d’ Ervy-le-Châtel.
Pour les bourgs ruraux, l’avenir réside dans la capacité à générer des pôles d’attractivité complémentaires qui fonctionnent en synergie avec les villes voisines à plus grande polarités et à trouver leur place à côté des métropoles. Les territoires ruraux représentent un potentiel d’innovation, car ils restent à une échelle humaine, l’échelle où l’on peut encore se parler. Par exemple, Saint-Savinien, ville de transit, a su faire en sorte d’arrêter les visiteurs en mobilisant les commerces fermés pour créer des vitrines éphémères, où sont exposés les artistes locaux qui n’avaient jusqu’alors pas de lieux. Aujourd’hui, la demande est supérieure à l’offre disponible. À Ervy-le-Châtel, c’est un lieu vivant de découverte et d’interprétation du vitrail au cœur du bourg que nous a présenté **Roger Bataille**, maire de la commune. Activités d’éducation artistique et culturelle avec les écoles du territoire, accueil d’artistes en résidence, mise en relation avec les monuments de la commune, tel est le programme de la Maison du vitrail, placée au cœur de la stratégie touristique de la municipalité et en étroite collaboration avec la Cité du vitrail de Troyes, tout en conservant un rayonnement indépendant.
Saint-Savinien, un village d’artistes qui réemploi les commerces inoccupés en vitrines éphémères. © ville de Saint-Savinien.

Pour faire connaître leurs territoires et les projets, ces villes bénéficient de la reconnaissance et de l’image de marque du réseau des cent soixante Petites Cités de Caractères. Au-delà d’une assistance technique, l’association à ce réseau permet à ces petites villes de développer une stratégie de communication collective nationale forte, qui valorise la combinaison de la mise en valeur des atouts spécifiques des communes avec une stratégie touristique locale. Le dernier levier abordé lors de ce colloque pour assurer la préservation d’un patrimoine créateur de richesse est sa promulgation touristique. En France, un touriste sur deux aurait une motivation patrimoniale, le tourisme représente 7 % du produit intérieur brut et deux millions d’emplois sur le territoire national. La force publique est en capacité de révéler et montrer aux habitants qui ne le perçoivent plus, comment un cadre de vie peut devenir un lieu d’exception. Ainsi, conserver le patrimoine vivant et mobiliser sa dimension économique pour créer de la valeur culturelle et paysagère par le biais d’une politique territoriale d’adhésion des habitants, permet de réunir toutes les conditions pour un projet de préservation réussi.

Conclusion

Fédérateur d’une identité collective et ouverte sur les autres, expression et repère pour une société saturée d’individualisme, le patrimoine développe le sentiment d’appartenance des habitants, à la fois experts et ambassadeurs de leur territoire. Intégré à un projet global, il conforte l’imaginaire et les synergies créatives sur les territoires. Élément clé de compréhension du présent, il participe à la mise en valeur culturelle d’un lieu. La démarche partagée dans un projet à trois dimensions, permet de réduire le fossé entre les professionnels du patrimoine, les élus et les habitants, pour sortir d’une opposition entre sa préservation et la satisfaction des besoins de la société du présent. Julia Dufay, responsable du service urbanisme à la ville de Luynes, nous rappelle que ce partage passe aussi par une vulgarisation du langage et des outils de communication adaptés et compréhensibles par tous.
Un projet politique fort peut fédérer les partenaires administratifs et financiers, les habitants et les associations autour d’une identité commune, s’il est pensé dans une logique citoyenne. Les petites villes doivent s’organiser et être inventives pour mettre en place l’écoute, ainsi que le vivre ensemble, attendus sur leurs territoires. En accompagnement des collectivités locales, les Unités départementales de l’architecture et du patrimoine assurent un contact humain de proximité sur le terrain. Pour apporter leurs connaissances et leurs expertises, ces services déconcentrés du ministère de la Culture doivent contribuer à réhabiliter une culture de l’aménagement compréhensible par tous et sortir de la notion de protection du patrimoine pour évoquer le projet de territoire. Ce décloisonnement des pratiques pour le développement d’une culture urbaine partagée passe par le renforcement du dialogue, l’inscription dans une démarche de réseaux à différentes échelles et la capacité à mobiliser l’intelligence collective des ressources humaines et des talents à disposition pour des collaborations, au service de l’innovation dans les territoires dans une perspective de développement et d’alliances durables.

  1. Le corps des architectes des bâtiments de France a été créé en 1946. Fonctionnaires du Ministère la Culture, ils exercent leurs missions de la préservation du patrimoine monumental, à la planification sur les territoires au sein des Unités départementales de l’architecture et du patrimoine.
  2. Le CGET a pour mission d’appuyer le gouvernement dans la lutte contre les inégalités territoriales et le soutien des dynamiques interministérielles en faveur des territoires.
  3. Philippe Madec est un architecte, urbaniste et pionnier de l’éco-responsabilité. Ses ateliers d’architecture et d’urbanisme sont installés à Paris et à Rennes.
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